Comment l’humanisme peut-il combattre la barbarie ?

Publié le par Gippeh


1
         
Introduction

Comme c’est souvent le cas, cette question comporte en elle-même les principaux éléments de réponse.

Essayer de répondre à une telle question sans en délimiter le champ un peu plus précisément serait vain. Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? Quel est cet humanisme qui serait supposé avoir comme finalité de combattre la barbarie. Et quelle est cette barbarie dont on veut se débarasser ?

Depuis que l’homme est homme, des actes de barbarie ont été commis et, soyons en sûrs, continueront de l’être au nom d’idéaux éphémères mais ô combien séduisants aux yeux des foules. De la même façon, depuis l’origine des temps, des hommes se sont élevés pour indiquer aux autres une voie de progrès humain.

Alors, faut-il absolument opposer ces deux termes ? L’un est-il censé exister pour contrer l’autre ? Cette vision serait pour le moins naïve.

Je vous propose donc de revisiter la signification contemporaine de l’humanisme et de la barbarie, non pas sous l’angle de l’opposition mais plutôt pour comprendre ce qu’ils signifient dans le monde en 2009.

 

A cette fin, je vous propose dans un premier temps de revisiter la définition de ces deux termes et d’examiner ce qui, malgré tout, les oppose. Ensuite, nous examinerons la question posée en nous appuyant sur la signification de ces deux termes à notre époque. Enfin, en conclusion, nous essaierons de comprendre ce que peut signifier cette question pour un maçon.

2          Humanisme et Barbarie

2.1   L’Humanisme

Comment définir l’humanisme ? L’Encyclopédie de l’Agora le définit comme une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central. »

L’humanisme résulte d’un travail de l’homme sur lui-même, travail tant mis en exergue au siècle des Lumières. D’ailleurs, Kant définissait ainsi les Lumières : «Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son propre entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d'un manque d'entendement mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise des Lumières»

On peut ainsi voir l’humanisme sous deux angles : une vision de l’homme et de son rôle dans le monde et la volonté qu’il doit avoir de progresser pour réaliser cette vision. Cette vision et cette progression ne sont possibles qu’en faisant appel à la richesse infinie que représente la diversité humaine.

2.2   La Barbarie

A l’origine, le terme barbare qui signifie étranger en grec était un mot utilisé par les grecs antiques pour désigner d’autres peuples étranger à leur civilisation. La barbarie représentait donc les agissements de ces barbares, incompréhensibles par le peuple grec. Montaigne rejoint cette vision et nous indique que «Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage».

Si la barbarie a longtemps représenté ce que faisait l’autre, l’étranger, elle a dans sa signification contemporaine un sens beaucoup plus péjoratif mais également plus universel, puisqu’elle désigne les agissements de l’homme qui avilissent son statut humain. Volontiers utilisé pour désigner l’Holocauste, le terme de barbarie a toujours sa place dans notre siècle, en témoignent les événements récents au Kosovo, au Rwanda ou encore à Guantanamo. Elle consiste en une action réfléchie, organisée de destruction de l’homme selon des critères bien choisis qui correspondent souvent à un refus de la différence et/ou à un repliement sur soi-même.

Cette vision de la Barbarie, principalement axée sur la notion d’extermination ethnique, a énormément évolué ces dernières années.

Pour Simone Weil, la barbarie est «un caractère permanent et universel de la nature humaine, qui se développe plus ou moins selon les circonstances lui donnant plus ou moins de jeu». La barbarie existe donc de façon latente dans notre civilisation et s’empare des hommes si la distribution des forces dans la société ne peut plus la réfréner.

En 1977, dans son ouvrage « La barbarie à visage humain » dont la sortie provoqua quelques remous, Bernard-Henri Lévy tente de démontrer que la tentation barbare demeure tapie au plus profond de nous-mêmes et que si elle emprunte aujourd’hui des habits modernes, elle n’en demeure pas moins terriblement omni présente. Son essai est d’autant plus intéressant que, 30 ans plus tard, cette nouvelle forme nous apparaît au grand jour. Bernard-Henri Lévy énumère trois nouvelles formes de barbarie :

  • Le capitalisme sans limite, sans Nature, sans Dieu qui puisse mettre un frein à «la frénésie de son exercice».
  • L’idéologie du désir, qui transforme l’homme en un animal qui n’aspire qu’à jouir et qui ramène l’univers aux caprices de ses désirs. Exténué par le dérèglement de ses sens, l’homme-désir est indifférent au monde, perdu dans l’adoration de ce qui l’excite.
  • Le socialisme, qui s’est aveuglé devant Staline et qui, une fois au pouvoir, reconduit le Capital. Ne nous trompons pas, cette dernière forme est toujours d’actualité, il suffit de tourner le regard vers la Chine pour s’en convaincre.

 

Ces nouvelles formes de Barbarie, qui conduisent l’homme à oublier l’homme pour n’écouter que son intérêt personnel et à court terme et qui s’accompagnent de la super concentration des pouvoirs aux mains de quelques uns, nous mènent droit au mur : qu’il s’agisse du présent où les injustices, non seulement se développent mais pire encore s’institutionnalisent ou encore du futur qui est pour le moins hypothéqué par une société humaine qui a fait fi jusqu’à présent de ses devoirs écologiques envers les générations futures, seul un changement profond peut nous amener à sortir de cette impasse.

2.3   Différences entre humanisme et barbarie

  • La place de l’homme et sa relation avec l’autre : comme nous l’avons déjà dit, l’humanisme met l’homme au centre de toutes choses. Par contre, la barbarie va mettre en exergue un concept, un objectif facilement accueilli par les masses et donc susceptible d’être rendu populaire sans grandes difficultés dont l’unique finalité est de servir l’intérêt d’un groupe d’individus. Qu’il s’agisse de race ou encore de nation, ces chiffons rouges sont beaucoup plus faciles à agiter sous le nez des foules que des concepts tels que l’amélioration de l’homme.

Ainsi, s’agissant de la traite des noirs, l’objectif clairement affiché est qu’il s’agit d’une nécessité vitale pour contribuer au rayonnement du commerce, de la marine et de l’agriculture.  De plus, il s’agit là d’un service rendu aux noirs puisqu’on va leur permettre de passer d’une servitude barbare à une servitude humaine, comme l’écrivit en son temps un grand philantrhope, le capitaine Burton. Le trafic négrier est une œuvre utile qui comble non seulement les négociants, les armateurs et les colons, mais aussi les Noirs, placés "dans une douce dépendance où il ne tient qu'à eux de trouver le bonheur" écrivait à la Révolution un auteur qui préféra, on ne sait pourquoi, garder l'anonymat.

En France, il faudra attendre le 17ème siècle et l’encyclopédie pour que des voix se fassent réellement entendre et pour que l’on affirme que la Traite des Nègres est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine.

La Société des Amis des Noirs née en 1788 autour de personnages illustres comme Condorcet ou encore Mirabeau se prononce à la fois pour la suppression de la traite et le maintien provisoire de l'esclavage. La traite est bien considérée comme un crime humain, mais on doute dans le même temps de la capacité des Noirs à supporter une liberté qui leur viendrait sans préavis, entière et immédiate. L'abolition progressive de l'esclavage paraît la solution la plus censée à l'époque où l'on proclame la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les hommes naissent libres et égaux en droits, mais à condition d'être blancs !

  • Le niveau d’organisation et la relation avec le temps : autant les courants humanistes sont des courants émanant d’individus, et souvent très peu organisés, autant la barbarie se montre très organisée et très hiérarchisée. Sans doute cette différence tient-elle surtout aux buts mêmes recherchés par l’un et par l’autre : autant l’humanisme reste difficile à définir en raison de son aspect très théorique (vouloir faire progresser l’homme reste malgré tout une entreprise qui s’inscrit dans le temps) mais également par sa méthode (raisonner, convaincre et attirer à soi par la méthode), autant la barbarie affiche des objectifs clairs, concrets, la plupart du temps déjà présents dans l’inconscient collectif, ce qui lui permet de mettre en œuvre des organisations très rapidement et très efficacement.

Cette différence induit certainement une relation avec le temps fondamentalement différente.  Les différents courants humanistes qui se sont développés dans notre histoire l’ont fait à une vitesse compatible avec la capacité d’absoption et d’intégration de la société. Ainsi les Lumières ne se sont pas faits en quelques mois ou quelques années mais plutôt en siècles.

A l’inverse, la barbarie, de par son caractère brutal, se répand très rapidement avec une violence souvent extrême.

Ces différences dans le temps se retrouvent bien entendu dans les confrontations opposant humanisme et barbarie. Si la traite des noirs s’est répandue très rapidement en France dès le 17ème siècle, il faudra attendre la fin du 18ème siècle pour que commencent à émerger réellement des mouvements abolitionnistes et le 19ème siècle pour que l’esclavagisme soit définitivement interdit. Là où l’intérêt économique a favorisé la mise en place rapide d’une organisation de cette forme de barbarie qu’est l’esclavagisme, il aura fallu près de trois siècles pour que les mouvements humanistes puissent combattre efficacement ce phénomène.

3          Comment l’humanisme peut-il combattre la barbarie ?

Au vu des différences que nous avons décrites, il ne semble pas pertinent de répondre à cette question. La barbarie, dans sa forme la plus basique, continuera d’exister et l’humanisme n’y pourra pas grand-chose.

Par contre, dans la signification contemporaine de la barbarie, il est possible de se demander comment l’humanisme, volonté profonde de l’homme de progresser, et le progrès n’est pas ici considéré dans son assertion technique, peut permettre à l’homme d’évoluer et de se remettre au centre de toutes choses, non pas pour profiter encore et toujours du progrès pour développer ses intérêts personnels, mais bien pour réfléchir et construire une humanité plus en phase avec elle-même ?

3.1   L’humanisme face aux nouvelles formes de barbarie

Si jusqu’à présent, la barbarie se caractérisait par la violence et l’annihilation de la dignité humaine, rejoignons Bernard-Henri Levy sur les nouvelles formes de barbarie de notre société.

L’effacement de la société humaine au profits de quelques uns, quelle que soit la forme économique ou politique qu’il prend, et la recherche du plaisir instantané, dans ce que Bernard-Henri Lévy appelle l’homme-désir, ne datent pas d’hier et n’étaient pas jusqu’à présent identifiés comme des actes barbares.

Force est de constater que, face aux actes de barbarie, l’humanisme a toujours été relativement impuissant et souvent, pourrait-on dire, avec un train de retard.

Alors, face à ces nouvelles formes de barbarie, peut-t-il avoir une action plus efficace ? Il est bien évidemment difficile de répondre à cette question, mais quelques pistes intéressantes peuvent être explorées.

  • Nous arrivons à un moment charnière de notre histoire : cette vision pourra certainement paraître naïve, mais elle n’en demeure pas moins d’actualité. Après avoir vécu dans un monde dual se partageant entre deux grandes options politico-économiques, le socialisme et le capitalisme, une prise de conscience collective est en train de se faire sur les limites de l’un et de l’autre. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si l’un ou l’autre de ces deux systèmes est le meilleur, mais bien quelle doit être l’alternative à ce choix qui n’en est pas un.

On a cru un temps que le capitalisme, système émergent, était la meilleure (ou la moins pire) des solutions. Aujourd’hui, nous devons constater que dans les sociétés ayant adopté cette forme de développement, des effets pervers évidents ont émergé très rapidement :

  •  
    • Ecarts grandissant entre les plus riches et les plus pauvres, avec disparition des classes moyennes ;
    • Concentration des pouvoirs aux mains de quelques une pour leur profit personnel ;
    • Retours dans nombre de pays à des pratiques qu’on n’avait pas vues depuis les années 30 ;
    • Elévation du « consommer plus, consommer plus vite » au rang de nouveau Dieu dans notre société
  • Face à ce constat, il nous est permis d’espérer : en effet, devant cette révolution rampante de notre monde, l’humanisme a entièrement sa place car les valeurs qui l’animent en font un instrument particulièrement adapté :
    • C’est bien le monde, et non nos sociétés occidentales, qui change. Ce changement ne peut être appréhendé correctement que si la réflexion globale sur ce que doit être notre monde est une réflexion ouverte sur les autres. De ce point de vue, l’humanisme, en s’enrichissant de la diversité, est bien en phase avec ce monde en changement. Ce caractère contemporain lui permettra-t-il d’être efficace et de rendre en quelque sorte sa place à l’homme ? La question reste ouverte.
    • Si les combats actuels, tels que la lutte contre la pauvreté ou l’écologie, restent pleins de contradictions (on veut bien mettre en oeuvre des principes tant qu’il ne s’agit pas de se les appliquer à soi même), les conséquences de leur non prise en compte sont de plus en plus contraignantes et surtout de plus en plus visibles aux yeux de chacun.

Alors, face à ces nouvelles formes de barbarie, on peut effectivement penser que la foi en un réel progrès humain peut permettre à l’homme de se replacer au centre de toutes choses. On peut également penser que cette vision est naïve, en raison même de la disproportion des forces qui s’affrontent. La puissance actuelle des quelques groupes d’influence qui régissent le monde est telle qu’un changement ne pourrait pas passer par autre chose qu’une véritable révolution de notre société. Cette révolution surviendra-t-elle et quelle sera sa forme ? Voilà encore de nouvelles questions auxquelles il est encore plus difficile de répondre.

4          Et le franc-maçon dans tout çà ?

Il apparaît clairement que cette question, en opposant barbarie et humanisme, renvoie à des interrogations chères à la F :.M :. Notamment sur l’utilité de la F :.M :. et de son rapport avec le monde profane.

Sans vouloir relancer ce débat, il est important de constater qu’aujourd’hui, la franc-maçonnerie, par ses valeurs et ses méthodes, apparaît comme un véritable outil de réflexion sur ce que peut et ce que doit être notre monde. Est-ce que cet outil peut ou doit participer à ce travail de progrès ?

Au siècle des Lumières, époque de changements de la même amplitude que ceux que nous vivons aujourd’hui, les francs-maçons ont su aider par leurs travaux à faire progresser la société en exposant clairement leur vision du monde et la place que devait y occuper l’homme. Cette vision eut le succès qu’on lui connaît parce que les travaux étaient de qualité, et non pas en raison de la promiscuité de la maçonnerie avec les milieux influents.

Sans développer plus en avant, nous pouvons faire un parallèle entre cette époque et la notre, notamment sur les grandes incertitudes qui existent dans le monde à venir ainsi que sur la présence d’une pensée unique concernant ce que doit être le progrès humain. Sur ces deux points, les francs-maçons peuvent certainement là encore aider la société par leur travail.

Marx a dit : «Jusqu’ici les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, ce qui importe c'est de le transformer.» A chacun d’apporter sa pierre dans cette œuvre de transformation.

 

Publié dans Réflexions

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article